07 mars 1945 – La route sans fin

La Route sans fin

 Un matin de janvier nous avons pris la route,
Sans savoir, vers où, ni vers quoi ?
Et nous partions l’esprit vraiment rempli du doute
Où nous allaient mener nos pas.

Après tant de longs mois passés dans l’inertie,
Nous ne pouvions penser à faire un long chemin
Et le cœur plein d’espoir nous sommes donc parties
Oubliant nos soucis et songeant à demain.

Nous avons ce jour là cheminé par la plaine
Avançant lentement, traînant tous nos paquets
Puis les abandonnant, un à un avec peine
Les reprenant parfois, succombant au regret.

Lorsqu’arriva le soir, dans la triste pénombre,
Nous nous traînions encore vers le but imprécis
Les soldats se mêlaient à nous dans l’ombre
Et nous aidaient un peu sans qu’on dise merci.

Ainsi jour après jour, nous nous sommes traînées
Dans la neige, la boue, et sans savoir vers quoi
Nous arrêtant, le soir à jeun, exténuées
Heureuses cependant d’avoir trouvé un toit.

C’était le plus souvent au fond de quelque grange
Qu’on nous poussait alors et dans l’obscurité,
On entendait des cris sauvages et étranges
Partis de tous ces corps meurtris et piétinés.

Le matin de nouveau nous reprenions la route
Ayant pour réconfort un maigre bout de pain…
On nous disait toujours : «L’étape sera courte»
Mais hélas, notre but se reculait sans fin.

Et la route toujours s’allongeait implacable,
Meurtrissant les pieds nus, et les pieds mal chaussés,
Les sacs pesant trop lourd à nos dos misérables
Malgré les abandons et les objets cassés.

Nous avons vu souvent tomber des camarades
Sans pouvoir seulement les aider un instant
Tant nous sentions nos corps épuisés et malades
Incapable de faire un geste en supplément.

Ainsi que des troupeaux de moutons pitoyables
Errant à l’aventure et par des chiens mordus
Notre pauvre troupeau avançait sous la “schlague”

Comment donc oublier ces heures de détresse ?
Le calvaire et la mort qui parfois nous frôlaient
Comment de notre esprit effacer la tristesse
Que ces jours semblaient bien avoir mis pour jamais.

Nous nous en souviendrons, mais la vie admirable
Reprendra tous ses droits et dans la liberté
Nous reverrons ces jours, comme un songe effroyable
Qui pourtant, nous menait vers le but enchanté !

Le but !… notre pays et ceux qui nous attendent
Tous ceux que dans la nuit notre rêve a cherchés,
Vers des cœurs pleins d’amour et des bras qui se tendent
C’est vers cela vraiment que nous avons marché.

Pinson
Aichach
7 Mars 1945


Document daté du 7 mars 1945 à Aichach, recopié par Lucienne sur une feuille portant la date du 8 mars 1953, il n’est donc pas certain qu’elle en soit l’auteur, il est en outre signé Pinson (le nom de son deuxième mari).