15 février 1946 – le procès du commissaire Ménard

LE NUMÉRO : DEUX FRANCS                                                     VENDREDI 15 FÉVRIER 1946
LE COMTOIS
Directeur : A. HOUTIN. – Rédacteur en chef : M. ROCH.
Rédaction et Administration : 20, Rue Gambetta – BESANÇON
Dans l’affaire du policier Ménard la Cour se déclare incompétente !
Albert Ménard, 51 ans, était commissaire aux Renseignements généraux, à Vesoul, pendant l’occu­pation. Si l’on comprend que certains des faits qui lui sont reprochés aient fait partie intégrante de ses attributions (puisqu’à la suite de ces enquêtes et de ces interro­gatoires, personne ne fut inquiété), mais on s’explique mal la corrélation qu’il y a entre les arrestations des communistes par les Allemands et la surveillance dont ces derniers étaient l’objet en 1939 de la part de l’inculpé. L’acte d’accusation dit :
 « La preuve n’en a pas été fidèlement rapportée. N’en tenons pas compte. »
Cependant, on considère dûment établie la culpabilité de Ménard dans des affaires qui font partie de ce tout qu’on rejette.
L’ex-commissaire connaissait ad­mirablement bien la région haut-saônoise. Il y fût nommé en 1937 et ne la quitta que le 1er janvier 1944. Étant aux renseignements généraux, il tenait à jour les fameux « carnets B » qui constituent les plus indiscrètes archives d’une police politique. C’est cette documentation qui – affirma un rescapé des camps de la mort – servit aux allemands pour éliminer les communistes et les résistants ayant des attaches avec les partis de gauche. Le témoin Didier affirma qu’il ne faut pas chercher plus loin les causes des arrestations massives qui eurent lieu dans la région de Vesoul en juin 1941 (Didier, Vaillandet, Baveux, Morel, Varillon, Cordier, Corne, Mlle Weil. Jourdet Gilbert). Les archives de la préfecture et du commissariat spécial furent détruites lors de l’invasion allemande mais elles existaient en double au ministère de l’Intérieur et au siège de la région militaire. En septembre 1942, une autre fournée (Jourdet René, Mougin, Mimil, Bringart, Nesplats) était internée administrativement au camp d’Ecrouves. Mais rien n’établit la culpabilité de Ménard ! Non plus qu’en janvier 1944, quand les habitants de Vauvillers reçurent des menaces de mort de la Milice, en raison de leur activité patriotique. On ne retrouve pas sa culpabilité lors de l’arrestation de Floriot, Dormois, Babey et Vigneron qui, en 1939, avaient fait l’objet de rapports circonstanciés du commissaire spécial.Mais venons-en aux faits pour  lesquels la culpabilité de Ménard ne fait pas de doutes. Il y en a donc ? Eh oui ! Mais à regarder l’accusé dans son box et la mimique de son défenseur, Me Bugnet, on croirait qu’il s’agit d’une monstrueuse erreur judiciaire.
Ménard, un serviteur zélé du gouvernement de Vichy et des Allemands ? Allons donc. Et les services rendus à la Résistance et aux Alliés ?

Il faisait partie d’un service de contre-espionnage anglais. Bref ! encore une pauvre victime du double jeu !
Mais René Guillois, Mme Hacquard, si digne dans son malheur, et Drouhin ne pratiquent pas le double jeu lorsqu’ils viennent déposer contre l’ex-commissaire. Le premier, militant du Front National, fut arrêté à Vesoul en août 1942, par Ménard. La gare était ce jour étroitement surveillée… parce que – affirma l’accusé – on recherchait un trafiquant du marché noir. Guillois appréhendé fut amené au commissariat spécial où il fut interrogé sur les tracts qu’il transportait. Devant son mutisme, Ménard fit appel à la brigade de Dijon qui vint à la rescousse et employa les grands moyens. Traduit devant la section spéciale de la Cour d’Appel de Besançon, Guillois fut condamné à cinq ans de travaux forcés et à dix ans d’interdiction de séjour. Nous ne comprenons pas que pour confirmer les dires de la victime du commissaire Ménard, qui étaient contestés par l’accusé et par Me Bugnet, on n’ait pas exhumé des archives du Palais, le dossier Guillois où la preuve de ses affirmations était inscrite noir sur blanc.
Mme Hacquard relata la perqui­sition que fit Ménard à son domicile en compagnie du capitaine allemand Meissner et de la Gestapo. Caté­gorique, la deuxième victime (reconnue !) de l’accusé, réfuta toutes ses dénégations et fut aidée en cela par M. Pignerolle, commi­ssaire du gouvernement. Arrêtée avec, son mari et son fils pour activité résistante, ils furent jugés à Breslau et condamnés, elle à six ans de travaux forcés, M. Hacquard, à la peine de mort. Depuis nul ne sait ce qu’est devenu le camarade de combat de René Guillois.
La troisième inculpation men­tionnait une perquisition effectuée toujours en compagnie de Meissner chez MM. Fariney, Chonavey et Boffy à Luxeuil, parce qu’ils organisaient un complot commu­niste. En admettant que Ménard, comme le fit remarquer Me Bugnet, était contraint d’agir ainsi, de peur de représailles, comment expliquer qu’il accompagnait les Allemands qui savaient fort bien se passer de la police française ?
Le réquisitoire définitif renvoyait l’ex-commissaire spécial devant la Cour de Justice, en vertu des articles 75, 79 et 83 du Code pénal. La Cour, si elle a reconnu que Ménard était coupable des crimes qui lui étaient reprochés et que ceux-ci avaient été commis en temps de guerre, n’a pas admis que l’inculpé avait agi dans le but de favoriser les entreprises de l’ennemi et elle se déclara incompétente !