Belfort le 2 avril 1940
Chers petits,
Me voilà arrivé ici, et installé au moins provisoirement. Mais ceci n’est pas encore définitif car nous avons été envoyés, à douze brigadiers et dix sous-officiers pour encadrer des alsaciens qui manquaient de gradés. Nous ne resterons donc pas bien longtemps encore ; nous allons être dirigés sur des usines, mais quand et où, nous ne le savons pas encore.
Monsieur Martin est parti avec nous comme adjudant. Nous sommes arrivés hier soir pour quatre heures. J’ai été prévenu du départ à 10 heures du départ qui devait avoir lieu à 13h, après midi. Je n’ai donc pu te téléphoner. Je n’étais pas encore habillé. J’ai eu juste le temps de m’apprêter. J’espère que tu as été prévenue assez tôt par Laurent de Conflans qui devait te téléphoner, et que tu as reçu le petit mot que je t’ai écrit sur le quai de Vesoul.
Il n’est donc plus question de me retailler mes vêtements. Si tu voyais cela, tu rirais. Le pantalon m’arrive au menton, la veste fait trois fois le tour de ma taille. Je vais tâcher de changer cela ; sinon je ne peux les mettre. Il faudra les retailler.
J’espère que ma petite poulette est toujours gentille. Je l’embrasse bien fort. Dès que j’aurai une adresse définitive, elle pourra m’envoyer un petit mot. Mais attend encore, car nous ne resterons pas longtemps ici.
J’ai rencontré sur le quai à Belfort M. Colin (?) qui débarquait aussi. Je ne sais plus où il allait. Je suis un peu abruti de tous ces chambardements. Il me tarde d’être définitivement installé quelque part que ce soit. Je n’ai pas encore beaucoup dormi, mais il faudra que ça se tasse.
Ne te fais pas de bile, mon petit chéri ; nous sommes tous ici de vieux types qu’on ne peut guère embêter.
Bons baisers à toutes deux. Je t’écris à Meurcourt ; je pense que tu y es encore. Sinon le facteur te fera passer ton courrier.
Je t’embrasse encore tendrement.Ton Marcel